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Le renouveau de l’animation 2D

par Véronique Dumon

9 février 2024

Après plusieurs décennies dominées par la 3D CGI, on assiste à un mouvement de retour à la 2D depuis le milieu des années 2010.

Si Pixar, créateur de Toy Story, premier long métrage entièrement en 3D (1995), a remporté à ce jour une vingtaine d’Oscars, plusieurs Golden Globes et Grammy Awards ainsi que de nombreuses autres récompenses, de nombreuses œuvres prouvent que les artistes et le public plébiscitent à nouveau la 2D pour le meilleur : Rick et Morty (2013), BoJack Horseman (2014) en série, Spider-Man: Into the Spider-Verse (2018) qui combine des éléments en 3D avec des personnages dessinés en 2D, La Légende de Klaus (2019) et des œuvres très attendues portées par des sociétés françaises, Tobie Lolness (Tant Mieux Prod) ou La plus précieuse des marchandises (long métrage produit par Ex Nihilo et La Classe Américaine, fabriqué par Studio 3.0, réalisé par Michel Hazanavicius, NDLR) pour ne citer qu’elles.

Les écoles sont un poste d’observation et d’accompagnement privilégié des évolutions du secteur qu’elles se donnent pour mission d’anticiper au mieux.

Quatre professionnels de l’animation et de l’enseignement issus de trois écoles françaises partenaires de Toon Boom, s’expriment, notamment à travers leur propre expérience, sur les raisons de ce regain d’intérêt pour l’animation 2D : Thomas Debitus, fondateur et directeur pédagogique de L’Atelier à Angoulême, Jean-Baptiste Laloux, animateur, enseignant permanent de l’école dédiée à la 2D, Nicolas Launay, animateur, formateur spécialisé en animation numérique 2D chez Pôle 3D à Roubaix et Pascal Herbreteau, animateur, formateur Toon Boom Harmony à l’EMCA à Angoulême.

Où il est question de créativité, de liberté, de différentiation, d’expressivité, d’animé, de richesse de l’hybridation…

L’Atelier – Angoulême : Thomas Debitus, fondateur et directeur pédagogique

La déferlante 3D

Quand j’ai fait les Gobelins au début des années 90, on était 100% 2D et quand je suis rentré chez Disney sur Le Bossu de Notre-Dame en 92-93 (Un film de Gary Trousdale et Kirk Wise, assistés de Paul Brizzi et Gaëtan Brizzi, NDLR), les décors étaient encore faits à la peinture avec un petit peu de 3D qui apparaissait. Et puis, en 1995, j’ai eu la chance de travailler sur Tarzan (Réalisé par Kevin Lima et Chris Buck, sorti en 1999, NDLR) et d’être formé à la 3D pour travailler sur les décors. On commençait à voir se mélanger les deux techniques, c’était très précurseur, et tout le monde disait à l’époque que la 3D ne marcherait pas car c’était trop laid… Et il faut reconnaître que Toy Story (Réalisé par John Lasseter, NDLR), le premier Pixar sorti cette année-là aux Etats-Unis, n’était pas très beau.

Avant tout pour des raisons économiques, en pariant sur le fait que cette nouvelle technique allait coûter moins cher car on allait pouvoir se passer d’une partie des artistes avec des machines qui effectueraient le travail à leur place, ça a été là ruée vers la 3D. Et effectivement, les machines ont évolué, c’est devenu de moins en moins cher même si ça reste très coûteux, et il y a de plus en plus de productions.

En 98-99, je travaillais sur La Planète au trésor : un nouvel univers (77e long métrage des studios Disney réalisé par Ron Clements et John Musker, sorti en 2002, NDLR) où quasiment déjà tous les décors étaient en 3D, lorsque Disney nous a annoncé que nous étions en train de fabriquer les derniers films en 2D, que le studio arrêtait. Ça a été un choc !

En France aussi, dans les années 2000, tout le monde se met à la 3D, c’est révolutionnaire on va faire plein de films et plein de séries !

Sauf quelques dissidents. Et l’on voit apparaître notamment les productions de Je Suis bien Content (Studio d’animation et société de production d’animation fondé en 1996 par Franck Ekinci et Marc Jousset, NDLR) ou la série Les durs du mur sur France 2 (Une production B Productions-Carrère-France 2, réalisée par Augusto Zanovello et Bernard Betremieux, NDLR).

Et moi, qui ai toujours lutté pour le dessin et la 2D. C’est l’ADN de l’atelier, pas de 3D ici.

Klaus

Quand j’ai créé l’atelier en 2007, beaucoup de concurrents se gaussaient un peu en disant que ce n’est pas tenable. Faire du cut out à la rigueur… Mais pendant plusieurs années, à Los Angeles, j’ai travaillé avec un monsieur qui s’appelle Sergio Pablos. Il m’avait dit « Thomas, quand je rentre en Espagne, je crée mon studio et je fais un film 2D à l’ancienne ». Sergio est un très bon ami et il a un talent incroyable, alors on souriait tous avec beaucoup de tendresse en pensant qu’il n’y arriverait pas, que ce n’était pas possible. Comment trouver les talents, qui plus est en Espagne où l’animation n’était pas une tradition ? Comment réunir les budgets nécessaires juste colossaux ?

Mais il a bénéficié de l’arrêt de la 2D chez Disney et du fait que beaucoup d’artistes n’ont pas voulu passer à la 3D. Je pense à Borja Montoro par exemple, des artistes de cette qualité qui sont espagnols. C’est aussi pour cette raison me semble-t-il qu’il a pu recruter des talents aussi fabuleux.

Alors il a créé The SPA Studio, le film s’appelle La Légende de Klaus, fabriqué avec Storyboard Pro et Harmony, il a été nommé plus de 20 fois en festivals, dont aux Oscar dans la catégorie meilleur long métrage d’animation, et a remporté une dizaine de prix internationaux en 2020.

L’atelier, tout pour la 2D

A l’époque de la création de L’Atelier il faut se rappeler que toutes les écoles passent à la 3D et axent toute leur communication sur ce thème. Mais je lutte pour la 2D car je suis persuadé que même si nos étudiant.es vont ensuite vers la 3D, leur formation en 2D et je vais même aller plus loin, en partie traditionnelle, est un socle, une base indestructible qui leur permettra de s’adapter à toutes les technologies. Et dans ce cadre, la suite Toon Boom nous intéresse énormément parce qu’elle permet d’avoir une vraie continuité et de donner aux étudiant.es une vision globale de la production. On peut le vérifier aujourd’hui et c’est fondamental pour nous : tous nos étudiant.es ont toujours trouvé du boulot et tout le monde a commencé à se dire que finalement, la 2D n’était pas finie.

Il y a une petite dizaine d’années, tout le monde s’y est remis et maintenant, pas une école qui ne forme à la 2D parce qu’il y a du travail, parce que c’est l’intérêt des étudiant.es qui ont envie de créer. Car même si la 3D bien faite, c’est formidable, elle reste une technique assez laborieuse, avec une partie technologique terrible qui, je pense, assèche vraiment la partie artistique.
Ça a vraiment été notre force et on continue. C’est un débat qu’on a souvent avec les étudiants. Pourquoi fait-on cet exercice en tradi ou en 2D ? Pourquoi est-ce qu’on n’hybride pas ?
Et à chaque fois nous expliquons que ce sont des fondamentaux et que quand l’on maîtrise ces fondamentaux, s’adapter à une technologie, ce n’est pas grand-chose en fait.

L’influence animé

Les étudiant.es regardent beaucoup de productions et aujourd’hui ce qui a le plus le vent en poupe, et je pense ce qui est le plus créatif dans le PAF moderne, c’est l’animé en séries, comme Chainsaw Man, Dorohedoro, et c’est exclusivement de la 2D. Il y a cette vraie envie de graphiquement être différent, d’être beaucoup plus libre qu’avec la 3D.

Je vois une intégration du monde animé et de sa culture dans la nôtre et je trouve ce phénomène plutôt positif. Il y a une forte attirance vers ce style mais ça pose des soucis : l’animé, de façon erronée, semble facile et accessible. Et il est beaucoup plus difficile de faire comprendre aux étudiant.es que non, qu’il faut aussi des intervalles, des fondamentaux d’animation. Oui, c’est du boulot ! Harmony nous aide beaucoup à ça, à mener de front le tradigital, le cut-out et le tradi de façon que tout puisse être mélangé.

Des étudiant.es nous demandent « comment dessine-t-on une jolie scène ? » Nous leur répondons par des questions essentielles : qu’as-tu à raconter ? Quelle est ton intention ? Ça va venir tout seul, il n’y a pas de recettes. Nous travaillons beaucoup sur des skills de culture, de sensibilité, d’écoute et moins de dessin, de techniques parce que c’est devenu une évidence. Ce qu’on ne peut pas faire avec la 3D qui est très complexe. En 2D les étudiant.es peuvent faire leur film de A à Z et je trouve super intéressant ce qui se passe en ce moment.

L’Atelier – Angoulême : Jean-Baptiste Laloux, animateur, enseignant permanent et coordinateur

Transmettre

J’entame ma 3ème année à L’Atelier. J’étais avant intervenant extérieur et je travaillais soit en tant que superviseur anim 2D, soit en tant qu’assistant réalisateur chez 2 Minutes. Je ne faisais que des interventions ponctuelles à l’école en posing et en animation. J’étais assez impressionné par les cours qui étaient dispensés et je me disais surtout que c’était une école que j’aurais aimé faire à l’époque de ma formation. Quand on m’a proposé de venir enseigner de manière permanente, je me suis dit que le défi me plaisait bien. Cela représente beaucoup plus de travail que ce que j’imaginais. Je trouve ça plus difficile que la production mais aussi très intéressant, surtout par l’aspect humain. Le fait d’être dans un bain de créativité où les jeunes gens ont vraiment la volonté de développer leur sensibilité artistique, leurs capacités techniques. C’est très stimulant, après une expérience d’une dizaine d’années dans les studios, de contribuer maintenant à la formation des nouvelles générations.

A travers les différents postes que j’ai occupés, j’ai pu appréhender, de l’écriture jusqu’au compositing, ce que représentait le fait de travailler avec des réalisateurs différents, de voir des manières de travailler différentes à chaque projet et puis de se nourrir de l’expérience des nombreuses personnes que j’ai pu rencontrer. Et me rendre compte que sur chaque production, on est confrontés à peu près aux mêmes problématiques, qu’importe la technique utilisée. Les prismes sont différents et il faut simplement avoir une conscience globale du projet et des savoir-faire à disposition pour le servir le mieux possible, sans s’enfermer dans un pipeline toujours identique. Et c’est ce que l’on essaie d’enseigner aux élèves ici pendant les trois années que dure leur formation.

Où l’on reparle de l’animé

Comme le disait Thomas, c’est vrai que l’animation japonaise est très installée depuis quelques années. J’y vois moi aussi quelque chose de très positif dans le fait de sortir du côté un peu académique français. C’est une façon d’appréhender le spacing d’une nouvelle manière. Les Japonais basent leurs animés sur un procédé très économique qui pousse donc à vraiment réfléchir chaque pause pour qu’elle soit efficace. Mais effectivement, les étudiant.es attirée.es par ce style parce qu’ils y trouvent une force particulière, que c’est ce qui se fait et que ça marche, l’apprennent de manière un peu trop frontale et oublient parfois d’ajouter du poids au personnage. On leur apprend à penser chacune des pauses au-delà des pauses clés qui sont très dynamiques pour fluidifier une animation complète. Dans l’animation japonaise, on a beaucoup de personnages qui volent, qui décollent très vite avec une animation très explosive. Mais on doit éviter le travers qui consiste à tout miser sur le style au détriment de la crédibilité du mouvement. On peut y trouver une belle créativité, un nouvel élan pour l’animation en fait, à partir du moment où l’on est capable de se reposer sur des acquis solides.

Le choix du projet

Je vois plein de belles choses qui vont arriver en productions dans les prochains mois et les prochaines années et je me dis qu’il y a vraiment de chouettes choses à faire, surtout en 2D.

Les nouvelles générations sont très attirées par les projets avant tout. Les jeunes diplômé.es sont confronté.es à la peur de ne pas trouver de travail, ce qui les pousse à accepter au début de leur carrières des postes sur des projets qui ne sont pas forcément ceux de leurs rêves. Mais toujours avec la conscience d’avoir fait des études qui leur ont demandé un grand investissement, qui leur ont enseigné un savoir-faire très précieux qu’ils ont envie de mettre au service de projets qui leur plaît, et sur lequel ils vont pouvoir s’épanouir.

Pôle 3D – Roubaix : Nicolas Launay, animateur, formateur spécialisé en animation numérique 2D

Envie de styles différents

A son arrivée sur le grand écran, la 3D a eu un très fort impact par son aspect prouesse technique jamais vue. Mais il me semble que lorsqu’elle a commencé à être de plus en plus « accessible », je mets beaucoup de guillemets autour de ce mot, et que le public s’y est habitué, il y a eu une envie d’autre chose et des styles très différents sont à nouveau apparus, dont des œuvres en 2D évidemment. Et même en pure 3D, il y eu des tentatives de diversification après les premiers Pixar, par exemple Blue Sky avec toute la série de L’Age de glace (5 films réalisés par Carlos Saldanha, Steve Martino, Galen Tan Chu, Chris Wedge et Mike Thurmeier, 2002-2016) ou Robots (Chris Wedge et Carlos Saldanha, 2005). Pixar a aussi essayé de renouveler plusieurs fois ses design d’ailleurs. Quand on regarde le dernier, Elémentaire (Peter Sohn, 2023), même Alerte Rouge (Domee Shi, 2022), c’est très particulier. On y trouve des codes qui sont ceux des réseaux sociaux, voire des mangas, notamment les visages, les pupilles…

BD et relocalisation au début des années 2000

La 2D a également repointé son nez en France du côté des séries et beaucoup à travers les licences BD. Je pense par exemple aux Nouvelles Aventures de Lucky Luke de Xilam (Une série réalisée par Olivier Jean-Marie et Jean-Charles Finck, coproduite par Xilam, Lucky Comics et Tooncan, NDLR). Et surtout, en plus de cette grande vague d’adaptations, les années 2000 ont été celles de la relocalisation. Auparavant, beaucoup de tâches en 2D, celle des intervallistes par exemple, étaient déléguées. Parfois même toute l’animation était envoyée sur d’autres continents. Mais on s’est vite aperçu que ce n’était pas la solution miracle espérée.  Et que la communication, la gestion des retake était un peu compliquées, en termes culturels comme techniques. C’était de l’exécution pure.

Il y a donc eu un retour vers l’Europe des productions dans leur ensemble et donc une demande de talents. A ce moment-là, nous avons essayé à l’école, à l’époque dédiée entièrement à la 3D, de passer à la 2D, avec plus ou moins de bonheur, sur des exercices de mini productions. Et puis est venu Harmony.

La création d’une section 2D et des postes à la clé

En 2011 lorsque j’ai intégré l’école, je participais à la production des films 3D et mon passage à la 2D en 2014-2015 a vraiment été un choix professionnel important. J’ai voulu tenter l’aventure au moment où l’on a senti qu’il y avait un basculement sur le marché pour plus de productions.

Nous avons commencé timidement à partir de projets d’étudiant.es, au départ avec des films mixtes pour lesquels nous cherchions des solutions. C’est venu au départ par les VFX,  des fumées à faire ou des ronds dans l’eau sur des rendus un peu alternatifs très paintés.

On s’est dit que c’était plus beau en 2D et aussi plus organique en termes de production. On pouvait ajouter des couches de FX traditionnels au compositing, j’entends par là pas de motion design, de particules. Ce fût la première approche, et par ce biais là on a découvert le cut out.

On a ensuite pu constater que les étudiant.es qui sortaient de l’école avec dans leurs bagages des connaissances en 2D s’étaient retrouvé.es régulièrement à faire valoir cette compétence sur du background design, du concept art ou du texturing animé. Mais c’était à l’époque vraiment très lié à la 3D, pas sur une production ou le pipeline central était 2D.

Puis est venu progressivement le rendu alternatif pour lequel on fake la 2D par des rendus, par du shading. Alors pourquoi finalement ne pas prendre le parti de la full 2D ? Aujourd’hui, environ 1/3 des films de fin d’études de nos étudiant.es sont réalisés entièrement avec cette technique.

Des échanges avec les studios lors de nos jurys de fin d’études ont fini de nous persuader car ils avaient un réel besoin de talents.

En 2015 on a donc décidé de lancer une section dédiée au sein de Pôle 3D. Nous sommes repartis des bases de l’animation en travaillant avec des bancs-titres et nous apprenons aux étudiant.es les techniques traditionnelles. Elles sont indispensables pour utiliser les logiciels 2D, notamment Harmony, dont les codes et les interfaces sont vraiment très intimement liés aux codes utilisés en animation traditionnelle et dans les entreprises. Par ailleurs, il était nécessaire de savoir faire la transition du traditionnel vers le numérique et, pour commencer, maîtriser la numérisation du pipeline en passant par les tablettes numériques sur lesquelles on dessine et qui sont utilisées comme des tables rotatives traditionnelles.

Il faut avouer que la section a été un peu longue à s’installer et elle a vraiment commencé à décoller en 2017-2018. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré Matthieu Sarazin de Toon Boom autour de Storyboard Pro puis Harmony et la notion de dessin vectoriel que l’on enseigne à l‘école et auxquels je me suis formé moi-même.

Nos étudiant.es en 2D trouvent des emplois en cut-out, beaucoup de compos et en dev sur la partie technique, et pour les personnes un peu plus expérimentées, du character design ou du storyboard. Et nos principaux lieux d’embauche sont Paris, Angoulême et le Nord pour les hauts-de France.

L’Avenir : l’hybridation

Depuis quelques années les créateurs utilisent un mélange de 2D et 3D qui utilise la force des 2 techniques. Spider-Man: Into the Spider-Verse en 2018 a vraiment été le déclic (Spider Man : New Generation en VF, le long métrage de Bob Persichetti, Peter Ramsey et Rodney Rothman produit par Sony a notamment remporté l’Oscar, le Golden Globes, le Critics’ Choice Movie Awards et le BAFA 2019 du meilleur film d’animation, NDLR) et a prouvé que faire le choix d’un rendu alternatif pouvait marcher.

Et bien sûr, au sein de l’école, nous lançons des passerelles vers cette hybridation.

Mes collègues vont dire que je prêche pour ma paroisse parce que je fais les cours d’hybridation à l’école, mais on ne peut que constater que les créateurs vont de plus en plus vers des mélanges assumés de techniques et surtout, avec une transition en douceur, sans passer d’un seul coup de l’une à l’autre. On est passé d’un usage sectorisé où on a de la 3D puis de la 2D, à un milieu où des morceaux de 2D intègrent la 3D et inversement. Dans un sens comme dans l’autre, on arrive maintenant à créer ce que j’appelle un gradient ou un dégradé. Les logiciels vont de plus en plus dans ce sens et les développeurs travaillent activement à des outils de projections de 2D sur la 3D, voire de création en 2D, voire de préproduction en hybride.

Je pense vraiment que l’avenir est dans cette hybridation.

L’EMCA – Angoulême : Pascal Herbreteau, animateur, formateur Toon Boom Harmony

Un parcours en 2D

Je viens de l’animation traditionnelle mais j’ai d’abord fait une école à Angoulême, qui n’existe plus aujourd’hui, consacrée à l’image de synthèse 2D et 3D, le LIN, Laboratoire d’Imagerie Numérique, l’école de Laloux, (Entre 1989 et 2004, Le département d’imagerie numérique -DIN-, puis le laboratoire d’imagerie numérique -LIN- du Centre national de la bande dessinée et de l’image -CNBDI-, ont mis en œuvre un ensemble de formations supérieures à la réalisation de films d’animation ou d’effets spéciaux en images de synthèse. Il a été dirigé par le réalisateur René LalouxLa Planète sauvage, Les Maîtres du temps, Gandahar…- de 1996 à 1999, NDLR).

La 2D m’a toujours attiré car j’avais envie et besoin de dessiner. Le rendu était beaucoup plus instinctif, beaucoup plus rapide, sans avoir forcément besoin d’utiliser un ordinateur au départ. Je pouvais faire un flipbook, n’importe quel dessin et puis un semblant d’animation avec du papier et un crayon. Donc pour moi c’était plus naturel on va dire.

Je suis de la dernière promotion et à l’issue de cette formation je suis passé très vite sur le long métrage en animation traditionnelle avec notamment Astérix chez les Vikings en 2004 chez 2D-3D Animations, Nocturna en 2005 chez Ricochet Production. Et puis, il y a à peu près une quinzaine d’années, il y a eu une période de vaches maigres pour le long métrage 2D et j’ai enchaîné quelques séries. A ce moment-là, des représentants de Toon Boom Harmony sont venus à Angoulême à l’occasion d’une formation pour une série qui se voulait être le premier animé français, Trois et moi (Une série canadienne de 26×26’ produite par Carpediem Film and Television OD Media, diffusée à partir de 2010, NDLR). Ils sont venus former pendant plusieurs semaines une quinzaine d’animateurs, dont je faisais partie. On s’est dit chouette, il y a beaucoup de choses très positives dans ce logiciel qui permettent d’aller un peu plus loin qu’avec les outils à notre disposition pour le moment !

Puis j’ai eu la chance, à l’issue de cette prod, d’avoir des postes à responsabilité sur le long métrage Le Magasin des suicides (film de Patrice Leconte -production franco-belgo-canadienne, Diabolo Films, La Petite Reine- Reine Sales, Entre chien et Loup, Caramel Films, RTBF sortie en 2012-, le premier long métrage utilisant des puppets animation cut-out réalisé en France sous Harmony, NDLR) dont une très grosse partie de la production, notamment une partie importante de l’animation layout a été faite à Angoulême chez ToutEnKartoon. Et c’est grâce à ce film là qu’ensuite j’ai pu intervenir au sein de L’EMCA. J’ai commencé à donner quelques informations sur ce qu’on pouvait faire avec ce logiciel et quel était son impact sur l’industrie du cinéma. Puis des formations, assez courtes au début car Harmony restait encore un peu confidentiel en France, contrairement au Canada.

Et au fur et à mesure que les années ont passées, l’amplitude et le contexte professionnel on fait qu’il y a de plus en plus d’heures accordées au sein de L’EMCA sur les éléments d’Harmony parce qu’il y avait à nouveau un besoin d’animation traditionnelle dans les studios. Besoin de comprendre comment marche une marionnette, besoin aussi d’aider les étudiants à trouver du travail sans forcément avoir uniquement une ou deux cordes à leurs arcs : l’animation 3D ou le traditionnel.

Les outils 2D numériques précédents obligeaient à se restreindre un peu trop à un certain style d’animation très cartoon ou très preschool. Savoir utiliser Harmony permettait d’ouvrir encore un champ des possibles, de mélanger du traditionnel et du pantin, et l’on a commencé à proposer des programmes beaucoup plus complets.

Objectif emploi

Les étudiant.es ont commencé à se poser des questions, légitimes, sur les débouchés qui allaient s’offrir à eux au bout de leurs 3 ans ou 5 ans d’études. S’ils allaient faire de la 3D ou de la 2D ? Tout le monde avait une envie de faire l’animation 2D partout, ce qui ne pouvait évidemment pas contenter l’intégralité des étudiants de L’EMCA. Mais beaucoup de productions sont arrivées à Angoulême à ce moment-là. Ce pouvait n’être que de la préprod,  de l’animation ou du compositing. Parfois, on avait un pipeline complet. Néanmoins ça touchait à toutes les étapes de fabrication d’un long métrage d’animation. Voyant de plus en plus de débouchés arriver avec des styles différents, les étudiant.es ont commencé à accrocher à la 2D et au logiciel en voyant des postes possibles à la sortie et, surtout, que le logiciel avait été vraiment prévu pour l’animation et qu’il était intéressant de l’explorer à fond. On a alors pu se projeter sur plein de choses.

Chaque année je demande aux étudiant.es ce qu’ils et elles souhaiteraient faire plus tard. Et on entend des jeunes gens dirent « moi j’aime le rig, j’ai une passion pour l’animation mais j’ai un esprit logique et je comprends qu’avec mes connaissances de l’animation, même si elles sont encore limitées, je peux fabriquer quelque chose pour aider quelqu’un d’autre à animer derrière ». D’autres veulent faire du compositing. Maintenant, l’utilisation de la vue nodale qui est intégrée dans Harmony permet d’appréhender une logique assez simple commune à différents pipelines. A l’EMCA en tout cas, de plus en plus de films de fin d’études sont réalisés en 2D.

Cependant, si je continue sur l’exemple de l’écosystème angoumoisin que je connais bien, il y a beaucoup de studios qui ne fonctionnent qu’en 3D et je crois que leur cahier de commande est bien rempli. Mais on sent quand même qu’il y a énormément de productions 2D, que ce soit en court métrage, en publicité, en série ou en long métrage, en cours de développement ou de production, et on peine à remplir les équipes. On fait passer énormément de tests mais parfois, on n’a pas les équipes complètes.

Des œuvres référentes

Ces dernières années, l’arrivée de Klaus par exemple, de The SPA Studio pour lequel le studio 3.0 (Studio d’animation courts, longs métrages, films TV et créations artistiques diverses basé à Angoulême, dirigé par Christophe Jankovic, NDLR) a travaillé sur du clean, sur la couleur, sur l’assistanat, a notamment été un tournant.

J’ai travaillé pour FOST en tant que lead posing sur une production qui a aussi mis quelques petites étoiles dans les yeux des étudiant.es, Tobie Lolness (Une production Tant Mieux Prod, 13×52’ réalisés par Camille-Elvis Thery et Florian Thouret pour France Télévision et la ZDF prévus en diffusion à partir de l’automne 2023, NDLR). C’est une sorte de rêve d’enfant pour pas mal d’entre elles et eux qui ont grandi avec le roman de Timothée de Fombelle, véritable bestseller. L’adaptation graphique est vraiment très jolie avec un format feuilletonnant et plein de partis pris ambitieux. C’est un mélange d’environ 9/10e en puppets sur Harmony et un complément d’autres types d’animations.

Il y a quelques années, j’ai aussi travaillé pour Prima Linea sur La Tortue Rouge (long métrage du réalisateur Mickael Dudok de Wit produit par Studio Ghibli, Why Not Productions et Wild Bunch et sorti en 2016. Notamment en sélection dans la section  « Un certain regard », en compétition pour la Caméra d’or au Festival de Cannes 2016 ; Prix spécial « Un certain regard », NDLR) qui a énormément intéressé tous les étudiant.es. Puis sur La fameuse invasion des ours en Sicile produit également par Prima Linea (Film de Lorenzo Mattotti d’après le conte de Dino Buzzati, en sélection officielle du Festival de Cannes 2019 dans la section « Un certain regard », NDLR). Et avant, il y avait eu Zarafa (Long métrage réalisé par Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie, produit par Prima Linea, sorti en 2012, NDLR).

Et en ce moment, je suis Lead Shadow, je vais faire des ombres et lumières, sur La plus précieuse des marchandises. Ça va être magnifique !

Toutes ces œuvres ambitieuses de grande qualité ont permis de créer petit à petit une nouvelle émulation autour de la 2D en traditionnel alors qu’on la pensait complètement enterrée. Le charme opère toujours et elle résiste bien.

En fait, tout ça est vivant . La 2D évolue, tout comme la 3D. Avec une volonté d’hybridation pour passer d’une sensibilité à une autre. Et pour prendre le meilleur des deux.