Alexandra Myotte et Jean-Sébastien Hamel sur trouver une communauté à travers Un trou dans la poitrine

Court métrage d'animation

Dans Un trou dans la poitrine (A Crab in the Pool en anglais), les coréalisateurs Alexandra Myotte et Jean-Sébastien Hamel plongent dans la relation entre Zoé et son jeune frère Théo. Se déroulant dans un quartier délabré de Montréal pendant un été étouffant, le film suit la colère ardente de Zoé et l'évasion fantastique de Théo alors qu'ils sont aux prises avec la perte et trouvent du réconfort l'un dans l'autre.

Ce court métrage d'animation riche en émotions a été salué par la critique. Parmi plus de 30 prix, il a remporté le prix du public pour le meilleur film d'animation à SXSW 2024, ainsi que le prix Best of the Year Vimeo Staff Pick et a été présélectionné pour les Oscars. Nous avons rencontré Alexandra et Jean-Sébastien, qui ont écrit, réalisé et produit le film, pour en savoir plus sur l'inspiration et le processus à l'origine du projet.

Le court métrage d'Alexandra Myotte et Jean-Sébastien Hamel, Un trou dans la poitrine. Le commentaire de la réalisatrice et du réalisateur est disponible sur Vimeo.

Pourriez-vous nous parler un peu de vos expériences en matière d'animation et de vos trajectoires professionnelles?

Alexandra: À l'origine, j'ai étudié d'autres disciplines artistiques, comme la musique et la danse. J'ai toujours aimé dessiner et écrire. En cours de route, quelqu'un m'a suggéré de combiner toutes ces passions en faisant de l'animation. Finalement, j'ai décidé d'apprendre l'animation à l'Université Concordia.

J'ai essayé différents types d'animation, du dessin à la main en 2D aux marionnettes animées. Au début des années 2000, les gens disaient que l'animation 2D allait mourir, alors tout le monde se lançait dans l'animation 3D. Je l'ai essayée et je n'ai pas aimée du tout, alors je suis restée en 2D.

J'ai eu la chance de travailler sur de petits projets après avoir terminé l'université. J'ai toujours préféré les projets indépendants et je n'ai jamais eu l'ambition de travailler sur de grands projets avec de grands studios. Lorsque Jean-Sébastien et moi nous sommes rencontrés, nous avons commencé à réaliser nos propres projets, comme des séries web. En 2020, nous avons commencé à faire des courts métrages et nous avons vraiment aimé ça.

Jean-Sébastien: Je pensais que l'animation 3D était une nouveauté intéressante, mais j'aime la 2D depuis mon enfance. J'attendais toujours de regarder des dessins animés le week-end et j'adore les bandes dessinées, les films et les séries télévisées. J'ai tout appris moi-même, je suis un directeur d'animation autodidacte. Parallèlement à l'animation, j'ai également réalisé et monté des séries et des publicités en prises de vue réelles, pendant près de 20 ans.

C'est lorsque j'ai rencontré Alexandra que ma carrière dans l'animation a commencé. Nous travaillions ensemble sur une vidéo musicale pour le groupe Karkwa qui devait être diffusée sur Musique Plus.

La vidéo a connu un grand succès et s'est retrouvée en première position sur Musique Plus. Notre deuxième vidéo, également pour le groupe Karkwa, a remporté le prix de la meilleure vidéo de l'année au Québec. C'est ce travail qui m'a fait réaliser que je voulais que l'animation occupe une grande place dans ma vie.

C'est également à cette époque qu'Alexandra et moi sommes tombés amoureux et sommes devenus un couple. Nous avons maintenant réalisé quelques projets ensemble. Il a fallu du temps pour voir comment chacun travaillait, mais nous n'avons pas d'égo démesuré quand il s'agit de créer ; le film passe avant tout!

Images du processus de production d'Un trou dans la poitrine, démontrant les références et un aperçu du processus de production.

Vous avez travaillé en équipe pour écrire, réaliser et produire Un trou dans la poitrine. Qu'est-ce qui a inspiré l'histoire du film?

Alexandra: Le film a été inspiré par notre propre histoire, car j'ai eu un cancer du sein en 2017. Ce n'est que quelques années après le cancer que j'ai eu envie de créer un film sur ce sujet. Cependant, je ne voulais pas faire un film autobiographique, je préférais qu'il soit juste inspiré de mon expérience.

La mère de Jean-Sébastien a aussi eu un cancer du sein, mais encore une fois, je ne voulais pas créer une histoire trop centrée sur la vie de Jean-Sébastien et moi. Lorsque nous faisons de l'animation, nous essayons d'être sauvages et psychédéliques parce que nous voulons profiter du fait que nous faisons de l'animation et non pas une histoire qui pourrait être en prise de vue réelle. C'est pourquoi il y a tous ces éléments de fantaisie, et parce que les personnages sont jeunes, il est plus facile d'apporter cet élément de fantaisie.

Lorsque nous projetons le film et que nous sommes dans le public, presque à chaque fois quelqu'un vient nous voir et nous dit : « J'ai vécu cela », ou « ma mère est malade ». Il est très important pour nous que les gens se sentent à l'aise de partager cela avec nous, parce que le processus de guérison est long et qu'on a besoin d'un sentiment d'appartenance à une communauté. Tout le monde connaît quelqu'un qui a ou a eu un cancer, mais nous en parlons rarement.

Jean-Sébastien: Bien que le film ne soit pas autobiographique, on peut s'y reconnaître. Théo me représente en quelque sorte et Zoé représente Alexandra. Parfois, la nuit, elle se réveille terrifiée, pensant à la mort. J'étais et je suis encore trop inquiet de voir le cancer revenir. Même si la maladie d'Alexandra a disparu, le fait de savoir que cela pourrait se reproduire est effrayant. Théo est un peu comme ça, il est triste à l'intérieur, mais il essaie quand même de vivre une vie heureuse.

Mon objectif avec ce film était de faire en sorte que cette histoire paraisse réelle, tout en restant fantastique. Lorsque nous avons discuté de la fin du film, j'ai pensé au film Portrait de la jeune fille en feu et à ce qu'il m'a fait ressentir. Il s'agit d'un film qui se déroule au XIXe siècle et qui suit un couple de lesbiennes.

À la fin du film, l'amour que se portent les personnages est fort mais aussi impossible à cause de l'époque. Je voulais que Un trou dans la poitrine soit comme cela, à la fois heureux et triste. Les frères et sœurs vont se retrouver, mais il leur sera impossible d'être complètement heureux. Je pense que ça se termine bien, même s'il s'agit d'une tragédie. C'est un sentiment contradictoire, mais c'est la vie.

Comment avez-vous financé Un trou dans la poitrine?

Alexandra: Il s'agissait d'un projet indépendant, nous avons donc dirigé la production et le financement. Le processus peut être très fastidieux. Notre principale source de financement pour Un trou dans la poitrine a été une subvention du Conseil canadien des arts, ainsi qu'une subvention du Conseil des arts de Longueuil ; nous avons également obtenu des crédits d'impôt provinciaux et fédéraux.

Depuis le succès d'Un trou dans la poitrine, des gens nous ont contactés pour des collaborations et nous avons reçu plus d'attention en général. Le financement reste cependant difficile, même avec le succès de ce film.

Nous sommes en train de réaliser un nouveau court métrage, qui sortira bientôt. Il est plus adulte, avec un sujet plus sombre. Il n'a pas l'aspect fantaisiste, psychédélique ou amusant de Un trou dans la poitrine.

Jean-Sébastien: Honnêtement, nous n'osons pas comparer le nombre d'heures que nous consacrons à un projet avec l'argent qu'il nous rapporte. Si nous connaissions la somme réelle que nous gagnons, nous y réfléchirions probablement à deux fois. Il y a aussi des coûts cachés dans la réalisation d'un film, par exemple le coût de sa promotion. Pour Un trou dans la poitrine, nous avons engagé un publicitaire, car sans lui, il sera très difficile de concourir pour les Oscars.

La réalisation d'Un trou dans la poitrine n'était pas une entreprise lucrative, c'est une expérience de vie. Nous y avons investi beaucoup de nous-mêmes. Mais c'est toujours très gratifiant, surtout lorsque le film est reconnu et salué. Par exemple, le fait d'avoir été sélectionné pour un Oscar pour le film a été très gratifiant.

Pouvez-vous décrire le style d'animation d'Un trou dans la poitrine et expliquer comment vous l'avez choisi? Pouvez-vous citer des références?

Alexandra: Je sais que l'animation est importante, mais l'histoire et la façon dont elle fonctionne sont à mon avis plus importantes. Pour Un trou dans la poitrine, nous avons réalisé que l'animation n'avait pas besoin d'être complexe. Le film repose essentiellement sur l'histoire et les personnages.

Dans cette optique, je voulais adopter un style facile à animer, puisque j'étais la seule à dessiner. Je voulais également que la manière dont nous passions d'une scène à l'autre soit inventive. Le style du film a souvent été comparé à celui de Mike Judge. Mais nous nous sommes également inspirés des programmes MTV des années 1990, Liquid Television. J'aime beaucoup les dessins animés, c'est donc une source d'inspiration pour moi.

Nous avons un aperçu de l'imagination de Zoé et de Théo, qui sont très différentes l'une de l'autre. Comment ces séquences aident-elles à communiquer aux spectateurs la façon dont les deux enfants traitent leur deuil différemment?

Jean-Sébastien: Les lunettes sont un souvenir d'enfance, une activité que je faisais avec ma sœur. Elle avait le mal des transports lorsque nous étions en voiture. J'utilisais les « lunettes » pour essayer de lui faire croire qu'elle n'était pas malade. Je l'ai également fait avec ma nièce, qui a beaucoup aimé.

Nous avons pensé que les « lunettes » seraient un bon moyen de signaler que Théo voit des choses fantastiques, à travers le prisme de son imagination. Et souvent, ce qu'il voit représente ses difficultés. Par exemple, lorsque Théo vomit le crabe, cela représente ces situations où l'on ne veut pas dire quelque chose parce que c'est trop difficile et trop horrible à dire à voix haute.

Nous avons opéré une transition entre les séquences fantastiques, plus psychédéliques au début du film et celles qui deviennent peu à peu plus réalistes. C'était une façon de révéler lentement la douleur des enfants.

Alexandra: L'imagination de Zoé est plus proche de l'horreur corporelle. La scène de la salle de bain est censée représenter son esprit et ce qu'elle ressent.

Jean-Sébastien et moi avons une dynamique où je suis habituellement plus cérébral, j'apporte les puzzles et les transitions. Jean-Sébastien insiste pour que nous soyons plus émotifs. Par exemple, lors de la première ébauche, je n'ai pas montré la mastectomie de la mère, mais Jean-Sébastien a insisté pour qu'elle soit montrée.

Le début de l'histoire vient plutôt de mon esprit et au fur et à mesure que l'histoire se développe, nous approfondissons le sujet, qui devient plus émotionnel.

Quelle a été la partie la plus excitante ou la plus satisfaisante de la réalisation d'Un trou dans la poitrine?

Jean-Sébastien: En réalisant Un trou dans la poitrine, nous avons découvert toute une communauté, ce qui a été très spécial, car il peut être isolant de faire un film à la maison. Nous nous sommes fait de nombreux nouveaux amis aussi passionnés que nous et avons eu l'occasion de voyager pendant trois mois l'année dernière, grâce au film. C'est incroyable de penser que tout cela est arrivé grâce à une idée qu'Alexandra a eue et qu'elle m'a présentée il y a trois ans.

Alexandra: Oui, c'était génial de rencontrer des gens grâce au film et de se faire des amis en cours de route. Les courts métrages ne sont souvent pas connus du grand public et c'est donc une belle expérience que de rencontrer autant de personnes partageant les mêmes idées tout au long du processus.


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